Davertige









On ne connaît de Davertige ni son corps ni son âme. Un poète secret se promène librement à Montréal. Cette manière de se perdre dans la foule me fait bien penser à Pessoa. 
Dany Laferrière
  
De tous côtés, des paquets d'eau. La Terre si ronde et si petite. Les oies traversent le papier de soie des villes. Le souffle retient sa trace avant de fendre la marée de lumière haute, le long des ponts. D'un trait d'enfance, une rature. Nous oublions la vallée, nous enfuyons là où le coeur libère ses ondes. Les parapluies qui nous cachaient de l'invisible s'envolent. La buée, la vitre. Le doigt attend, pour prendre la photo, que l'île tangue. Les rêves, eux, l'envol des oies sauvages pour faire exploser leurs boutons. Comment croire que nous sommes encore de quelque part ? 
J'ai des racines une seule croyance, celle de notre mémoire végétale. Tu prendras ta pirogue. L'arbre chantera ses racines laissées à la plage des Abricots, là où personne ne juge l'homme qui vole à vélo sur la piste de décollage qui mène à la mer... Il pourrait s'appeler Davertige, celui qui roule pour entrebâiller l'horizon. Il pourrait s'appeler Davertige, celui qui nous raconte avoir heurté cet Icare des nuits vaudous, pourvu que Davertige soit encore parmi nous, dans les jardins basilic de tes amis peintres, pourvu qu'on joue au billard, ne pas oublier son chapeau melon, son imperméable anthracite. Je te dirai encore qu'il portait cet imperméable sur sa chemise de soins, quand il m'a raccompagnée à la sortie de l'hôpital. Ses jambes nues et minces comme la cigarette que je fumais pour ne pas rougir voulaient courir vers la mer, la soif des femmes fraîches, et ses longues mains cherchaient à fendre le vent ; Davertige... son nom nous garde de perdre le bleu, qui cerne Ouessant Montréal Haïti dans les pommettes fripées de nos grands-mères à l'Odeur de lessive, d'amidon et de cendre. Je l'ai rêvée, cette ville, île de tous et de personne, avant d'y déposer mes bagages. Sans doute à cause de la neige qui efface régulièrement nos pas. Sans doute à cause des visages, dont celui de Davertige écumant le quartier de Parc-Extension en "blanc et noir Pétion-Ville". Il ne semblait pas se souvenir qu'il était l'auteur d'Omabarigore...  
Omabarigore
la ville que j'ai créée pour toi
en prenant la mer dans mes bras
et les paysages autour de ma tête
Da. 
Il voulait qu'on l'appelle Da. J'ai rêvé d'une ville qui serait celle de nos vertiges. 


© Laure Morali, Carnet Montréal_12 octobre 2011 
Voir aussi : Veillée avec Davertige et Magloire St Aude...  
Et de Rodney Saint-Éloi : "J’ai rencontré Davertige à trois étapes de ma vie(...) "

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