C'est assez

Première voix de l'homme, premier corps du corbeau, au train des bandits, une nappe d'eau sur les reins, les nuits bougent sous le sable.Tu te souviens, dit l'homme, de ce peu, de ce trop, de ce lac, de nos différences enchaînées à la survie, de l'abandon à ce qui nous dépasse ? Je me souviens, oui, et tout ce qui nous dépasse nous traverse, j'en garde trace, poussière d'or parsemée sur le corps, les mains, les cheveux. Des plumes de corbeaux à la pelle des lunes sur les montagnes, le front.

*

Quand j'avais vingt-quatre ans, je suis arrivée à Mingan, et on m'a reçue comme une reine, simplement parce les Innus réservent la meilleure part de nourriture à l'étranger. Même si j'étais une inconnue, on ne m'a pas posé de question, on m'a hébergée, nourrie, aimée. Puis, un aîné m'a amenée passer trois mois dans son territoire, en forêt, là où il était né et avait vécu en nomade pendant au moins la moitié de sa vie. Là-bas, on m'a réappris à marcher, à regarder, à respecter l'autre dans l'espace restreint d'une tente. On s'est occupé de moi comme on s'occuperait d'un enfant qui ne connaît pas les dangers qui l'entourent. Chaque fois que je retourne chez les Innus, je suis accueillie comme la première fois. On ne m'a jamais fait sentir que je devais quelque chose. Demain, je marcherai avec les Premières Nations, parce qu'une femme ne mange plus depuis dix jours. Thérésa Spence veut simplement être écoutée. Les jours passent et le premier ministre du Canada refuse de la rencontrer. Elle se dit prête à mourir pour qu'on l'écoute. J'ai de la peine. Idle no more. C'est assez. Assez de silence. Assez d'indifférence. Assez de mépris. 
On ne peut pas laisser mourir de faim ceux qui nous ont accueillis, nourris et appris à survivre ici. 


Montréal, le 20 décembre 12

Le mouvement Idle no more



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