Équipiers


À Johary Ravaloson,  
23 août 

Les lattes défraichies du balconnet qui donne sur la ruelle, la balustrade en fer forgé dont la peinture noire s’écaille, les bâtons de bois ramassés depuis cinq ans par mon fils et empilés sous la galerie, sa collection de pirogues, de canoës, de barques — un ponton flotte sur le temps qui passe.
Avant moi, combien de personnes se sont assises ici sous le cèdre ? À surveiller quoi ? Le bruit des pommes qui tombent à la fin de l’été, celui de la neige qui flanche à la fin de l’hiver, et parfois, celui du verglas qui affaisse les lignes électriques et transforme la ville en océan sans phare. Les arbres dans la cour du voisin me donnent la direction du ciel. Une branche du mélèze s’étire vers un nuage. C’est assez pour me rapprocher du fleuve au bas de l’île et sentir le courant liquide de tout ce qui est en vie. En d’autres lieux plus arides, comment ne pas être attentif au battement d’aile d’un sterne, à la lueur d’un regard, à la voix d’une source ? Chercher chaleur humaine dans le moindre scintillement, signal de joie ou de détresse — un feu d’artifice à terre quand on est gardien de phare "en enfer". La solitude a ses tunnels qu'elle creuse dans le silence pour rejoindre le cœur de ceux qui sont au loin, même ceux qui sont morts, on guette leur retour dans le passage rare de certains oiseaux. 
La tasse de café que je porte en ce moment à la bouche me rappelle celle réchauffée par un ami dans le four à micro-ondes d’un sémaphore. Il allait passer deux mois dans ce lieu où j’avais résidé. Un peu timides, un brin fébriles. J’avais à lui remettre deux trois mots, le nom d’un rocher, celui d’une source, comme on glisse un bâton de relais à son équipier. Juste une onde dans une main en sueur.

© Laure Morali, Carnet Montréal 12 et Sémaphore 7_août 2011
D'après une proposition de François Bon : 
écriture au musée des phares et balises

Commentaires

Articles les plus consultés