L'île est un sujet sensible

L’Amérique, avant, je pensais que c’était l’autre côté de la mer, le reflet d’une vague dans un chardon bleu, le miroir de l’Armorique. J’ai suivi le courant vers l'ouest jusqu'à l'île baignée d’eau douce.  
Le bruissement d’écume des draps au réveil, la lumière dans laquelle m’évanouir, l’impassible étale des lacs autour ; la recherche de l'horizon en plongée ondulante, l’étirement de mon désir d’habiter la terre, faire un enfant malgré le brouillard du smog — je veux y voir la brume —, la surprise de mon fils face aux changements du ciel, dans ses yeux d’ailes de libellule où vibrent tous les verts, tous les gris de l’océan, le reflux des piétons sur la rue Mont-Royal, la voix des autres, le trop plein de tout ce qui me rappelle à ce qui n’est pas là, tout me raconte la mer et me vole jusqu’à la moindre de mes larmes. 
J'ai enfin compris pourquoi la voisine ne retire pas les guirlandes clignotantes de son balcon entre Noël et la Fête du travail. C'est qu'elle ne veut pas manquer la nuit des Perséides qu’on ne voit jamais tomber du fond de la ville, confiante comme elle est,
baraque, elle croit
au bleu, au fuchsia
de ses ampoules en fil
pour répondre aux étoiles
d’août 

sans même savoir
qu’elles tombent
cette nuit-là
ailleurs dans une mer lac
elle revêt un tablier
blanc sur une robe
lampe

je la vois
dans sa chaise
à trois pattes
fumer innocente

le bout de sa cigarette
orange par bribes

un phare tourne

l’ombre
d’un lampadaire
a ce bleu accroché
à elle vague
océan

des vœux toute
la nuit clignent
dans les flaques
sous les briques
et la voisine
ronfle peut-être
qu’elle voit
son nom en lettres
d’or flottant 

L’île de Montréal n’est pas cette étoile de mer dans laquelle j’ai grandi, pourtant des pêcheurs partent de ses digues, là où les rues ont oublié d’en croiser d’autres pour se transformer en sentiers, sabliers, en sursauts de marées au courant des déplacements de la lune. 
Je ne peux pas flotter à la marée montante dans les reflets de la lune, mais je peux m’enivrer d’écume et sentir au loin le golfe gonfler. 


C’est notre bord
de mer à nous
la ruelle

me dit la voisine 
en me voyant chercher 
du vide

portes écaillées
des caves, serviettes
nonchalamment épinglées
aux cordes

des horizons à poulies 

de vieilles carcasses
échouées au printemps
servent d’instruments au vent
et d’épaves aux flos

Sous le phare rouge du lac Saint-Louis, un après-midi d’hiver, les glaces s’éloignaient de la rive dans un vent presque marin. Émue de me rapprocher d’une sensation familière, j’ai du même coup été chavirée d’en être violemment séparée par ces glaces dont, en Bretagne, je ne connaissais rien. L’île est un sujet sensible. 

On habite
sous les jambes
d’un ange
la mer tu vois

elle a dit  

en ouvrant la porte
sur la ruelle

l’Île sur le ciel
refluait
aux fils à linge
des poteaux
à prières
pour érables malades
établis argentés
protégés des ressacs
par récifs d’ombre
brise

que rien n’arrive








© Laure Morali, Carnet Montréal 11, août 11
Image : LM, rapides de Lachine, Montréal

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