La mémoire est un phare qui tourne


Les saisons qui tournent appellent les souvenirs rangés dans un placard rond à s'envoler. Première journée d'air frais à Montréal depuis deux mois. La brise et le ciel gris me transportent en deux secondes en Bretagne. Les feuillets superposés de la mémoire virevoltent. Mon regard tournoie et plonge dans la nuit du passé. Un soir, je suis à l'internat du lycée de Dinan, le lendemain sur le banc de sable de l'Île des Ébihens, gamine dans les mûriers, ou dans la maison de mon oncle entre deux voyages. Même les sapins de la ville se mettent à sentir le pin maritime. Je vois du bleu dans tous les verts. Et aujourd'hui je me retrouve au sémaphore du Creac'h, quand Ouessant avait été désertée par les touristes et que se préparait la grande marée. Le soleil pesait déjà sur la mer. La lumière avait baissé de deux tons. La lande avait pris un soupçon d'orange brûlée. On aurait dit la steppe. La nuit tombée, je prenais mon quart. Je montais dans la chambre de veille. Même si j'étais seule au sémaphore, je m'inventais un équipier. Ce matin, je retombe sur cette photo de la loupiote, une bouée d'amour écarlate face au vide. Je retrouve ces vers de Magloire Saint-Aude dont le recueil Dialogue de mes lampes toujours posé à mes côtés me rassurait, et un extrait de mon journal de bord. Mois de septembre. Deux ans plus tôt.


Au galop des veilleurs muets,
Eux, inclinés, glacés
Chastes de vivre
Aux phares des dentelles ! 

Magloire Saint-Aude 


Les caresses régulières des faisceaux du phare, essieu dans la grande roue des planètes, sur les épaules, j'allume la lampe rouge bâbord de la chambre de veille. La mer vient d'absorber le soleil. Sur le bureau, des flacons d'encre, la nuit liquide. J'aime être ici, juste un regard.
Sémaphore du Creac'h, OuessantSeptembre 2010 

Montréal, 8 septembre 2012


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