Maryse fleur de taïga

Pour MH 
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Maryse Hache avait eu la grande prévenance, une semaine avant de mourir, d'initier notre vasecommunicant* en apportant dans Semenoir des mots du corps des forêts qu'elle avait recueillis ici. Je lui réponds par un cut-up, promenade dans ses mesmoires, bouquet de joies ou de maryses, que je dépose sur un tapis de lichens floconneux de la forêt subarctique où ensemble se rouler, rire, rebondir. 
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elle marche elle marche fait "trotter ses petites bottines" / couleurs des rêves / de nos belles vies en joie bonheur / feuilles bouclées / un corps subtil / d'abord une brume / love love / les mandarines / tes yeux d'amour / voûtes vertige / ivresse en voltige / pixels rosée que ça scintille vie de nature les fils soie offrande ô fragilité et pourtant résistance / ô danse ta vie danse / over the rainbow / avec oiseaux libellules danse fleurs et flaques / ton monde amis amours danse / accueille joie du repos / lecture des songes / regards en jardin joie / dors petit d'ange / en promenade d'herbe verte / campagne verdure vouillette / mais du vert du vert vert vert au soleil / coussinets doigts feuille écrans / vert coeur olive / respire l'air bienheureux de haut dehors / c'est l'heure blouse bleue  
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Il y a aussi d'autres jardins 
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Et d'autres pensées qui me traversent...
Georgia O'Keeffe, Petunia n°2 
ou encore Maryses




Maryse Hache m'avait invitée "le temps d'un vasecommunicant" à faire "l'échange de nos terres d'écriture", ce c'était pas pour rien, je ne sais pas pourquoi sans jamais avoir entendu la voix de Maryse, j'ai l'impression de l'entendre dire "ce n'était pas pour rien..." suivi d'un "c'était pour rire", elle qui était capable de m'écrire sur twitter "trouble plaisir comme me rouler bonheur sur votre terre". Elle souhaitait "bavarder autour des mots territoire et espace d'abord géographique puis intérieur", disait que cette "écriture de la forêt ouvre, comment dire, espace corporel, comme ouvrir cage thoracique, respir plus large, nouvelle terre où se rouler." La seconde fois qu'elle avait employé le verbe "se rouler", je m'étais sentie retomber en enfance, et j'avais bien hâte d'échanger mon corps des forêts avec son corps des jardins. "Habiter les territoires imaginaires de l'autre et s'y installer comme Boucle d'or dans la maison des ours. Mais c'est magique !" me réjouissais-je, dans ce message où je lui proposais que l'on ajoute le mot écriture aux mots territoire et espace. Elle m'en avait remercié, puis simplement : "je vais entrer dans la forêt d'écriture et le bouquet du vase". Elle ne m'a plus écrit après ce mot du 18 octobre, mais j'ai continué à lui envoyer des textes et des petits messages. J'ignorais ce qu'elle vivait. Je ne savais pas qu'elle luttait depuis longtemps contre une maladie. Le 22, je lui ai envoyé mon texte pour notre vase, sans faire exprès, comme "un lapsus de touches d'ordi", en pensant me l'être envoyé à moi-même pour sauvegarde. Je l'avais intitulé "mesmoires clandestines". Dans ce texte, la narratrice plongée dans le ventre de sa mère comme dans un globe terrestre retrouvait des souvenirs d'avant le jour. L'inquiétude du silence de Maryse m'a poussée à lui écrire de nouveau le 23, lui dire que je comprendrais si elle n'était pas à l'aise de mettre ce texte intime sur Semenoir, et que je voulais bien lui en proposer un autre. Dans un brouillon, cet après-midi là, à Montréal, je notais sans me comprendre : "fille de la lumière bleue dans les coutures du soleil, enveloppant ses mains de soie, mais qu'elle est cette terre dans laquelle tu glisses à l'envers partageant tes certitudes avec le monde et ta peur plus vive depuis que les longues complaintes de tes rêves s'éloignent dans une tasse en faïence où sifflent les vents creux, la terre est une bouée dans l'espace, reviens."  Sur le coup, je me suis dit que cette phrase n'avait aucun rapport avec notre vase et j'ai fermé le Ipad. C'est seulement deux jours plus tard que j'ai réalisé très lentement, en voyant apparaître des textes en hommage à Maryse sur twitter, la raison de son silence. J'ai ressenti un arrachement. Un grand vide qui me troue. Notre vase qui coule coule. Un sablier s'était ouvert des deux côtés. Et je sais qu'aujourd'hui, premier vendredi de novembre, il n'y a pas que dans les Portes que les vases sont percés. Partout, là où Maryse est un jour passée, les grains de son écRire se déversent en pétillant pour nous consoler. Est-cela que l'on appelle "l'amitié virtuelle", comme on dirait dans un autre contexte, sur un ton de feinte légèreté : "c'est juste platonique" ? Les mots de quelqu'un font partie de son corps. Ils ont le pouvoir de nous faire sympathiser. Écrire dit vivre, écrit Maryse. Lire fait revivre. "Aïe aïe aïe Maryse, Maryse" disait, lui, l'ami Shimun à propos d'une jeune femme qu'il avait rencontrée dans sa forêt de lichens, "aïe, aïe, aïe, comme elle belle, Maryse." Il parlait certainement d'une fleur de taïga.


Lire Maryse Hache  
Semenoir 
Abyssal Cabaret aux éditions Publie.net / Publie.papier  
Par les vasescommunicants de novembre dédiés à MH (répertoriés ici) s'ouvre un immense bouquet de maryses...

Merci à Brigitte Célérier et à Michèle Dujardin  
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*Vasescommunicants : le premier vendredi du mois, des auteurs reliés par le "webmonde" écrivent sur le blog d'un autre — à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."

Le vendredi 2 novembre 2012 

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