Le corps des forêts 11 | La radio CB


 

Sur les ondes de la radio CB, des grésillements imitaient ceux des braises dans le poêle de tôle ; les voix se frayaient un chemin entre les aiguilles d'épinette, les nids d'oiseaux, les antennes des panaches, les étincelles des copeaux et sortaient d'une boite, rouge comme la passion d'être en mouvement dans un monde qui est en vie. À cinq heures du matin, tu tournais le bouton noir et tu attendais, assis sur une bûche, que les copains se réveillent, au Lac Long, au Lac Sauterelle, au Lac du Tambour, tout en buvant ton thé. Nous prenions notre déjeuner tous ensemble, dans les tentes éparpillées partout dans le nutshimit. Nous savions qu'Antoine aimait manger de la perdrix, que Charles préférait le castor. Nous parlions de nos rêves de la nuit, du temps qu'il faisait et du programme de la journée. Trappe, marche, canot, pendant la semaine, provision de bois, entretien du camp ou lavage de linge, le dimanche. Le mot kuessipan rythmait toutes les conversations, suivi d'un silence pétillant, notre attente aiguisée par le désir de voix d'autre part. Nous avions des provisions de batteries. 
Tu disais qu'avant les voix venaient de vos rêves. Vous n'aviez pas vraiment besoin de CB. Il y avait toujours dans un groupe une femme ou un homme capable d'entrer en communication avec ceux qui étaient au loin. La boîte rouge, dont les sons nous berçaient le soir et nous réveillaient en douceur avant l'aube, m'apparaissait comme le réceptacle des rêves du corps des forêts. 


2 octobre 2012

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